Le Frère Adrien Candiard à propos de l'Islam
Le salafisme se réclame de la première génération musulmane contre la tradition musulmane
Le frère Andrien Candiard est dominicain au couvent du Caire. Il est membre de l'idéo (institut dominicain d'études orientales).
Il est spécialisé dans l'étude de l'Islam médiéval. Il donnait une conférence au monastère de Chalais le 11 avril 2015 et à la paroisse Sainte Clothilde, Paris 7°, le vendredi 20 novembre 2015, qui doit nous permettre de mieux comprendre l'Islam, ou plutôt, comme il le dit, de mieux comprendre pourquoi nous n'y comprenons rien.
conférence partie 1
conférence partie 2
Résumé des arguments de la conférence.sommaire
partie 1 :sommaire
- Il y a en occident une obsession angoissée et inquiète de l'Islam et nous avons le désir de le comprendre. Plus on essaie de l'expliquer moins on semble le comprendre.
- La question du pour ou contre est rarement une grille de lecture efficace pour comprendre un phénomène.
- il y a deux fausses pistes : croire que l'Islam existe, et croire que l'Islam n'existe pas.
- première erreur : faire de l'Islam une clef d'explication trop vaste ou expliquer le comportement d'un musulman uniquement par sa religion.
- Il y a dans l'Islam une diversité théologique, mais comme non musulman, je ne peux pas dire quelle est la vérité de l'Islam.
- Le Texte ne parle pas ! Il doit être interprété. Il y a toujours un interprète en Islam. La vérité de l'Islam n'appartient qu'au croyant.
- L'idée des musulmans avançant tous ensembles vers un but unique de conquête est un fantasme.
- Mais par ailleurs il ne faut pas croire que l'Islam n'existe pas.
- La foi existe, les actes ayant des motivations religieuses existent
partie 2 :sommaire
- L'Islam existe comme réalité unifiée dans la conscience des musulmans.
- Il y a aujourd'hui une lutte pour définir l'Islam orthodoxe.
- Présentation succincte de l'Islam contemporain.
- Nous sommes marqués par le schéma hérité de l'époque des lumières de l'évolution de la religiosité barbare vers la raison dépassant les croyances.
- On entend donc dire que les méchants islamistes sont les traditionalistes, et les gentils des penseurs modernes et modérés. Ce schéma ne correspond absolument pas à ce qui se passe dans le monde musulman.
- La modernisation de l'Islam est une vieille antienne.
- Au XIXe siècle des penseurs musulmans ont voulu retrouver la force des origines, d'où la recherche d'une réinvention de l'Islam.
- L'Islam traditionnel est l'Islam impérial médiéval aux structures relativement tolérantes. C'est cet islam qui a été remis en cause par la modernité du XIXe
- Certains des modernisateurs sont des grands esprits, d'autres des petits.
- Ils vont imaginer un Islam des origines très simple, et s'en réclamer contre la tradition musulmane transmise par les parents et les grands-parents.
- Le salafisme n'a pas l'expérience historique des responsabilités.
- Le salafisme a un goût pour le taqfir,soit l'excommunion. Les mouvements salafistes s'excommunient les uns les autres.
- le salafisme a longtemps été considéré comme une hérésie. Le pétrole et l'alliance américaine vont changer les choses. Le salafisme est minoritaire mais il a réussi a s'imposer dans l'imaginaire musulman comme étant un islam plus rigoureux que les autres.
- La force du salafisme c'est sa modernité. Il est né avec la modernité occidentale et dans son refus.
- Les visions trop simples de l'Islam sont celles qui acceptent la vision salafiste.
Réflexions personnelles.sommaire
Voilà un chrétien qui nous présente l'Islam sans complaisance naïve, ni sur le mode accusatoire. Effectivement le cours de l'histoire, (ou Dieu) nous impose de comprendre. C'est à mon avis, parce que c'est le cours de l'histoire (ou Dieu) qui nous présente la question, qu'elle se pose sur le mode de l'angoisse. Nous avons vaguement l'impression que la réponse va engager quelque chose de notre être, et nous avons relativement la certitude que la question est incontournable. C'est aussi pourquoi la tentation de la violence et du rejet brut apparaît à certains comme une esquive efficace.
Le problème qui nous heurte comme français, à la culture catholique millénaire, c'est son indéfinition. Il n'y a pas de religion plus déterminée dans son dogme que la religion catholique. Nous nous somme étripés pour une virgule dans un texte canonique, pour une "hypostasis" ou pour un "filioque" nous avons sacrifié l'unité de l'Eglise. Et nous avons fait bien pire lorsque Luther et Calvin ont prétendu que tout ça n'était qu'une affaire de temps et d'hommes. L’orthodoxie est pour nous une passion féroce, aussi nous sommes gênés et dubitatifs lorsqu'un musulman nous dit que chez lui aucun dogme de prévaut sur sa lecture personnelle. Et nous nous demandons d'ailleurs, comment un tel truc peut exister et tenir.
Ce que nous apprend cette conférence, c'est que l'Islam, lui même, souffre de son indéfinition et qu'elle y anime un combat violent. Le salafisme et le djihadisme sont des effets de ces tensions. Chose qui étonnera le laïcard, ces mouvements ne sont pas le fait de traditionalistes, mais plutôt de réformateurs modernistes ayant coupé les ponts de la transmission. L'Islam se cherche, nous sommes en période de gestation de cette religion. Ce qui inquiète le non musulman, c'est ce qu'il va en sortir.
Du coup le non musulman aimerait bien pouvoir déterminer lui même ce que c'est que l'Islam. C'est vrai autant pour celui qui veut que l'Islam soit l'Islam qui le rassure ("L'islam compatible avec les valeurs de la France et de la République"), que pour un Zemmour qui veut clore par lui même et en amateur, l'exégèse du Coran sur son interprétation la plus terrible ("Daesh est le vrai Islam"). En effet il est moins angoissant d'être certain de faire face à un ennemi que de cheminer aux côté d'une personne dont l'on doute. Le destin des hommes est là.
Mais justement, comme le dit le frère Adrien Candiard, le non musulman n'est pas à sa place pour dire ce que c'est que l'Islam. Seul celui qui y croit peut en dire quelque chose.
Il me reste toutefois deux voies qui ouvrent le dialogue. Comme français, j'ai la possibilité d'exiger de l'Islam qu'il se définisse, non pas au nom de la validité d'une croyance, non pas au nom des "Valeurs de la République"(qui sont menacées autant par Dieudonné, le FN, les djihadistes, la manif pour tous, et les santons de Provence dans les mairies), mais au nom de la sécurité publique et du respect des lois. La laïcité ne consiste pas à réclamer une harmonie heureuse et consensuelle des croyances, dans le flot commun de valeurs de 1789, mais à faire abstraction des croyances et de mon opinion sur elles, pour lire leur discours à l'aune seule de la loi : Si tu soutiens un discours qui avalise le meurtre, alors tu es hors-la-loi. Je peux exiger que tu me dises si tu justifies le meurtre. C'est ainsi qu'une laïcité bien comprise ferait du bien à l'Islam (à moins qu'elle n'oblige à rendre l'Islam illégal, ce qui pose d'autres problèmes).
Mais aussi comme chrétien (ou autre croyant, ou agnostique, ou athée), J'ai la possibilité de déplacer la question de la foi, du domaine de l'identité, vers le domaine de la raison (c'est une autre thèse du frère Condiard dans cette conférence). J'ai la possibilité de questionner la foi de mon interlocuteur, et c'est un honneur que je lui fait, non pas une atteinte à son identité, de l'estimer digne de pouvoir défendre sa croyance par des arguments. C'est plutôt si l'on en reste à ce que la croyance soit une affaire purement privée et intangible et indiscutable, que l'on risque de ne pouvoir s'affronter que sur le mode de la violence. Ainsi le dialogue s'ouvrira sur le thème de la disputatio.
Raphaël Urbain le 01 décembre 2015
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